C’est beau une catastrophe. J’ai souvenir d’une nuit d’hiver où nous avons contemplé le ciel rougi par un gratte-ciel en flammes.
Une catastrophe financière, ça n’est pas mal non plus. J’aurais aimé, certe, voir des golden boys faire la queue sur les toit des buildings pour se jeter dans le vide mais cette pratique est tombée semble-t-il en désuétude. Pas moyen qu’ils se balancent par la fenêtre de leurs tours sauf à y avoir préalablement envoyé un boeing se fracasser contre leurs écrans de cotations. De même les banquiers annoncent qu’ils sont en faillite sans qu’ils leur vienne à l’esprit de se tirer dans la tête une balle du révolver sorti d’un tiroir de leur bureau directorial. Les usages se perdent.
Il n’empêche que c'est fascinant de voir des banques s’écrouler, pendant que d’autres attendent le moment opportun de racheter à prix bradé leur concurrent agonisant, quitte parfois à accélérer les choses (1), comme ce vautour d’un dessin animé de Tex Avery qui, poussé par la faim et en l’absence de charogne dans son désert, tente d’assassiner son compagnon au hachoir pour le manger. Tex Avery prétendait que c’était son film préféré car son producteur, Fred Quimby, qui n’avait aucun sens de l’humour, n’avait jamais réussi à le voir intégralement tant ça lui donnait envie de vomir.
Fascinant de voir régner la panique au point qu’une rumeur apparue sur un blog, selon laquelle le président d’une grande compagnie informatique aurait souffert d’un malaise cardiaque, ait pu faire plonger les actions de la dite compagnie. Les thuriféraires du marché libre et auto-régulé, cette espèce de baal tout puissant censé veiller au salut des futurs retraités de la classe moyenne américaine et les accueillir dans son paradis de Floride, se mettent à nationaliser à tour de bras d’or ; l’Islande est au bord de la faillite après que leur gouvernement s’est ruiné pour sauver deux des principales banques du pays ; l’union européenne exhibe une fois encore sa désunion et chacun abandonne ses compagnons à son sort pour tenter de sauver quelques miettes. Mais l’union européenne n’a jamais été qu’une carcasse d’Empire que des hyènes se partagent en grognant des déclarations d’intention démocratiques.
Le FMI, pendant ce temps fait profil bas, manifestement plus prompt à aller morigéner la corruption africaine que celle de la finance occidentale ce qui nous permettra de reconnaitre à tout le moins à cette organisation un certain sens du respect filial. Et pour couronner cette parade de cynisme et d’hypocrisie, on n’a plus de cesse que de psalmodier les mots “tranquilliser” et “rassurer” ce qui ajoute encore à la panique générale.
Non vraiment le spectacle est grandiose. Je ne regrette qu’une chose : que le procès de Jérôme Kerviel n’ait pas lieu dès demain. Comme il jouerait sur du velours, le trader au trou de cinq milliards! Petit joueur, amateur, se présenterait-il, lui qu’on avait encouragé à enfreindre toutes les règles avant que de le lui reprocher amèrement, et qui pourrait ainsi, avec un sourire goguenard, demander ce qu’on lui reproche exactement. Parce qu’enfin, en l’état actuel des choses, le petit Jérôme a un peu l’air d’un gamin puni pour avoir rayé le parquet du salon juste avant que papa ne fasse exploser le pavillon en bricolant la chaudière.
À côté de toute cette curée, une voix s’est élevée dans le désert où le vautour de Tex Avery, armé d’un hachoir, poursuit son compagnon. Celle de Jaime Lanaspa, directeur général de la Fondation La Caixa, un organisme caritatif lié à la banque du même nom. Selon M. Lanaspa, le budget de 700 milliards de dollars (que peuvent bien signifier de tels chiffres?!) avec lequel les autorités américaines prétendent sauver leur système financier est dix fois supérieur au budget nécessaire pour éliminer la pauvreté sur la planète.
M. Lanaspa a essayé dans l’indifférence générale d’expliquer qu’il serait peut-être préférable pour l’économie en général et l’occidentale en particulier de permettre à quelques milliards de personnes de sortir de la misère, ne serait-ce que parce que cela leur permettrait de consommer des biens et des services que les financiers pourraient leurs vendre.
Mais l'argent est un organisme vivant et, comme tous les organismes, il cherche avant tout à se perpétuer.
Et comme en plus il est devenu virtuel depuis l’abandon de l’étalon-or, on fera, dans des caisses magiques pourtant supposées être vides jusqu’à il y a quelques jours, apparaitre des milliards qui empêcheront d’autres milliards de disparaitre. Joli feu d'artifice dans un ciel lointain! Comme de juste rien de tout cela n’ira à des pauvres restés eux sur la terre. L’argent ne va pas aux pauvres. Il ne va jamais qu’à l’argent.
Mais revenons à nos moutons.
(1) On soupçonne la banque JP Morgan d'avoir refusé quelques milliards à Lehmann Brothers, l'obligeant à se déclarer en faillite, avant de la racheter à bas prix.