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nos moutons
22 juin 2006

WELTANSCHAUUNG

HAMLET

Combien de temps un homme gît-il en terre avant de pourrir?


LE FOSSOYEUR

Ma foi, si ça n’est pas pourri avant de mourir — parce qu’on voit beaucoup de corps de vérolés ces temps-ci, à peine s’ils tiennent quand vous les mettez en terre —ça peut bien vous durer huit à neuf ans. Un tanneur vous durera neuf ans.

HAMLET

Pourquoi celui-là plus qu’un autre?

LE FOSSOYEUR

Ça, monsieur, il a le cuir si tanné par le métier que sa peau résiste à l’eau un bon moment, et l’eau, y a pas mieux pour vous pourrir un enfant d’garce de cadavre.
Tenez, un crâne par exemple : ce crâne-là il vous a passé vingt-trois ans en terre.

Acte V, scène 1 *


Je déambulais en été à Paris, dans le cimetière du Père-Lachaise.

Il y est des endroits où l’on ne croise ni les vieux rockers qui viennent singer la douleur sur la tombe de Jim Morrison, ni les tourneurs de tables qui viennet parodier la dévotion sur celle d’Alan Kardec. En fait on n’y croise personne. Je n’y avais trouvé qu’une petite lettre de remerciements, rédigée sur une feuille de papier quadrillé arrachée à un carnet à spirale, pliée en deux dans la hauteur et posée sur le monument funéraire de Frédéric Chopin. Rédigée en anglais et d’une calligraphie qui laissait augurer un âge avancé.

J’étais donc en contrebas du pélérinage spirite, sous des frênes au tronc immense dont les racines, dans leur reptation implacable, finissaient par briser les pierres pour pénétrer dans des tombes depuis trop longtemps abandonnées. Il règnait une fraicheur suave qui provenait autant de l’ombre des arbres que des fosses ouvertes d’où sortait une odeur d’humus.
La lumière était verte et l’air faisait bruire les feuillages.

Un peu plus loin, au soleil de nouveau, trois fossoyeurs vidaient une tombe dont la concession devait être parvenue à son terme. Vêtus de salopettes bleues, le plus grand qui portait casquette semblait inspecter le travail des deux autres, lesquels se reposaient en s’appuyant sur le manche de leur pelle, considérant leur chef et comme attendant ses commentaires.

Comme je m’approchais d’eux, j’avisai sur un tas de terre l’extrémité supérieure d’un fémur.
Faisant encore quelque pas pour que soit à portée de ma voix l’inspecteur des travaux macabres, je lui dis : "il y a un os qui traîne, là" tout en indiquant l'objet.
Il me considéra d’un air entendu puis, avec un grand geste du bras qui désignait tout le paysage alentour, me répondit : "un os qui traîne! un os qui traîne! il n’y a que ça, ici, des os qui traînent!".
Et d’ajouter : "et nous, alors? on traîne pas?"

Évidemment, vu comme ça.

Mais enterrons nos moutons.

*traduction de François Maguin, éditions Flammarion, 1995

les_moutons__fin_de_texte_7

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Commentaires
S
Réponse à NeoMauro : Au quai Becq??<br /> <br /> À Pablo : s'il s'avère que vous titillerait l'envie de répondre à un quelconque commentaire mien, daigneriez-vous dès lors cliquer sur l'adresse de mon blog, de sorte que je n'aie pas à éplucher vos non-archives à la recherche d'une réponse perdue?? Mes stats cachent des SRG. Grazie.
N
Où Pablo n'a-t-il pas trainé ses guêtres ?
O
"Je suis "où" je ne suis pas<br /> Et, dans le fond, hein, à la réflexion,<br /> Etre "où" ne pas être<br /> C'est peut-être aussi la question."<br /> (Jacques Prévert)<br /> <br /> Mort ou vif, on est décidément bien peu de chose.
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