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nos moutons
20 juillet 2006

LE MILLENIUM DES CRAPULES (notes sur une vaste escroquerie)

Vous l’aurez peut-être remarqué, on trouve dans les discours utilisés par l'Occident pour justifier sa domination sur la planète un fond messianique qui nous présente cette domination comme une espèce d’inévitable accomplissement de l’Histoire. Non seulement les Occidentaux continuent de trouver leur "civilisation" supérieure à toute autre, mais ils sont aussi convaincus de la nécessité de la répandre par toute la terre pour que l’humanité parvienne à ses fins dernières. Il y a là un blasphème dont on n’a peut-être pas mesuré toute l’étendue.

Pour remonter au 17ème siècle, il faut rappeler qu’il y avait dans la mentalité des premiers pionniers d’Amérique chassés d’Angleterre par les persécutions, une auto-assimilation de leur situation avec l’errance du peuple élu dans le Sinai après la fuite d’Égypte. Cette attitude est du reste commune à toutes les sectes pseudo-chrétiennes qui se disent persécutées à tort ou à raison.
À cette auto-assimilation des immigrants au peuple élu suivit logiquement une assimilation de l’Amérique à la terre promise et, juste après, des Indiens aux Cananéens, que l’on se crut donc autorisé à exterminer en toute impunité et justice. (1)

Mais la prétention des Occidentaux à dominer le monde prend réellement corps au 19ème siècle quand Darwin élabore sa cosmogonie panthéiste et nous peint une nature et une humanité «évoluant»  vers… Darwin que je sache n’est pas arrivé lui-même à la conclusion mais la société de son temps a trouvé tout à fait normal de la tirer à sa place : le point le plus achevé de l’Évolution ne pouvait être que l’Européen nanti, industrialisé, rationnel et puritain ("policé" comme on disait à l’époque). (2)
C’était là un nouveau sens donné à l’Histoire : comprenons bien que jusqu’alors, toutes les religions présentaient celle-ci comme un parcours depuis la création vers la fin (du monde, des temps, du cycle, les termes changent selon les traditions). Il n’était donc pas question d’ "évolution" mais d’ "involution". L’inversion darwinienne permettait, elle, de présenter l’étape la plus récente du processus comme la plus parfaite.
Il fallait donc évoluer en permanence selon une ligne ascendante qui ne pouvait tendre qu’à cet idéal : l’Occidental moderne. (3) 

S’étant auto-définis comme le point le plus abouti du processus pré-historique et, ma foi, au point où ils en étaient, historique, leur supériorité démontrée biologiquement et anthropologiquement, les Occidentaux pouvaient passer à l’étape suivante : s’affubler d'attributs pseudo-sotériologiques, ceux de promoteur du "progrès". Il ne s'agissait plus d'atteindre la terre promise mais de devenir les hérauts du bonheur universel.
Ils se jetèrent donc sur la planète comme des vautours sur un gnou moribond, avec la prétention, disaient-ils, de répandre les bienfaits de l’hygiène et de l’industrie : on allait construire la Jérusalem Céleste, ici et maintenant, et elle serait pourvue d’hôpitaux et de chemins de fer … En effet, l’Occident du 19ème siècle ne pouvait présenter son apport «civilisateur» sous forme d’une spiritualité dont il s’était défait au nom de la Raison. Les bienfaits qu’il prétendait répandre étaient donc purement matériels, ou tout au plus moraux ce qui n’est finalement guère différent.
Mais une pseudo-parousie ne peut être mise en place qu’avec des notions d’ordre spirituel, si parodiques soient-elles (les mensonges, pour être crus, doivent nécessairement imiter la vérité). Il est fort intéressant de ce point de vue de voir la mentalité occidentale -aujourd’hui encore et plus que jamais!- attribuer  au capital deux qualités qui sont normalement propres à la Divinité : celle d’être la seule chose à laquelle un être humain doive normalement aspirer, et celle de pouvoir produire indéfiniment sans jamais s’épuiser (4).

Il y eut, certe, un déplorable accident de parcours : la science et l’industrie permirent l’élaboration dans les années 40, en Europe centrale, de la plus gigantesque entreprise de meurtre massif jamais vue dans l’Histoire. D’un coup l’homme blanc s’en trouva quelque peu confus. Ces idéaux faisaient soudain moins belle figure. On aurait tout de même pu espérer qu’ils allaient enfin reconnaitre le fond de leur abjection si atrocement révélée, mais non : ils continuèrent de croire en leur mission qu’ils appelaient «civilisatrice» n’osant aller jusqu’à l’appeler ouvertement«salvatrice».

On trouva donc autre chose : on remplaça l’hygiène, la science et l’industrie par la démocratie et les droits de l’homme, qu’on allait comme bonne parole répandre parmi les peuples de la terre qui, il est vrai (on avait fini par l’admettre après un examen de conscience superficiel effectué dans la deuxième moitié du 20ème siècle) n’étaient peut-être pas si inférieurs pour peu qu’on prît la peine de leur expliquer patiemment comment penser comme nous. On allait donc les convertir derechef et leur fournir le viatique nécessaire pour la parousie socio-démocrate.

Et toujours pas l’ombre d’un doute sur le bien-fondé de leurs actes ni de leurs intentions. S’ils ont inventé la pollution, la guerre nucléaire, la colonisation, les camps d’extermination comme de rééducation, s’ils ont réussi en deux siècles à pourrir la planète, ce n’est qu’un accident de parcours. Continuons, ça va marcher. (La théorie de l’évolution a ceci de pratique : puisque on évolue vers un inévitable "mieux", il n’y a qu’à attendre demain pour que tout s’arrange…)

Ainsi se répand par toute la terre leur évangile délirant, accompagné de quelques bombes si nécessaire. Ils prêchent qu’ils sont, eux, les Occidentaux, le point extrême, idéal et inévitable de ce fameux processus évolutif et qu’il n’y a pas d’alternative, toute velléité de ne pas leur ressembler n’étant au mieux que le fruit d’une naïve ignorance, plus probablement le signe infaillible d’un "fanatisme" que l’on traitera avec la plus grande rigueur pour le bien de tous.

Le dernier tableau de cette colossale et meurtrière pantalonnade est encore tout récent : pour parachever et conclure leur eschatologie de pacotille, ils ont inventé la "fin de l’Histoire", cet ersatz de la fin des temps sensé, je suppose, proclamer leur victoire, qu'ils croient finale et définitive, et couper court à toute tentative de remettre en cause leur domination brutale (qui, en effet, irait lutter contre l'avènement du millenium?). Les masques sont tombés. Ils ne se prennent même plus pour le sommet de l’évolution, ni même pour le peuple élu : ils se prennent pour le Pantocrator descendu juger les vivants et les morts…

Où pouvons-nous encore nous cacher ?

Mais revenons à nos moutons si on arrive à les retrouver.

LES_MOUTONS__fin_de_texte_


Notes :
(1) Je tiens à préciser que dans le cadre de ce billet je ne fais aucun distingo entre les États-Unis et l’Europe, considérant les premiers comme un développement extrême du deuxième.
Sur la permanence de l'assimilation des États-Unis à la terre promise, consulter le second discours d'investiture de Bill Clinton qui n'a pourtant pas la réputation de fondamentaliste borné de son successeur.

(2) Ne nous leurrons pas : Darwin est un produit de son époque et pas un de ses facteurs déterminants.

(3) Ceux d’entre vous qui ont déjà joué sur ordinateur au jeu « Civilization » auront peut-être remarqué que, si le but est de développer une civilisation donnée, ce développement ne peut aboutir qu’à un panorama en tout point conforme à la civilisation occidentale actuelle, faute de quoi le score final diminue… (forcément).

(4) Cette dernière aberration fut relevée par Léon Bloy.

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Commentaires
S
Un jour où l'on me demandait de compter les prospects comme des moutons de panel, j'ai préféré faire une fuite dans l'irréel... C'est ainsi qu'une tribu de poissons rouges nommés les Poissonrouge vit le jour dans son aquarium, qui n'attend que vous vous décidiez à y plonger...<br /> Tout ça pour dire que le pig bizness, c'est pas une fatalité !
J
"La notion de progrès et de foi dans la raison, à la difference des autres religions n'est contenue que dans le christianisme."<br /> <br /> Ça, c'est très discutable. Si l'on veut parler de notion de "progrès" dans le christianisme, il faut se rappeler que le "progrès" s'arrête avec l'avènement du Christ (son Retour ne sera là que sauver ceux qui pourront encore l'être…). Alors "tout est accompli".<br /> Du moins selon Saint Paul.<br /> <br /> Même topos dans le judaïsme (le "progrès" s'arrête avec l'élection du peuple de Moïse et la naissance du monothéisme, du moins selon la tradition orthodoxe).<br /> <br /> Quant à l'islam (qui reconnait les précédents, et rattache la "sagesse des philosophes" grecs au cycle des révélations), même histoire : la révélation coranique marque l'apogée de l'histoire de l'humanité.<br /> <br /> Les 3 appellent à l'usage de la raison, bien que subordonnée à la foi. (Et les 3 ont profondément étudié les philosophes grecs, même s'ils n'en ont pas fait la même chose. À tel enseigne que ce sont les Arabes d'Andalousie qui nous ont fait découvrir Aristote, contre lequel Saint Thomas lutta avec acharnement.)<br /> <br /> Il est fort probable que l'on trouve des choses fort similaires en Inde (inventeurs du Zéro) ou dans le Bouddhisme (qui ne fut pas en mal d'exercices de la rhétorique, etc.). <br /> Mais, de "progrès", point. Au contraire.<br /> <br /> Et tous (à part peut-être les Bouddhistes), attendent le Messie/Jésus/Avatara qui reviendra sur son cheval blanc "quand tout semblera perdu".
P
//Je dirais que cette société qui devient folle est une conséquence normale de la chute de la chrétienté, et de l'idée de Dieu.//<br /> <br /> Sur ce point nous sommes parfaitement d'accord.<br /> <br /> Je souhaiterais parfois, cependant, que la chrétienté s'interroge plus avant sur les raisons de sa chute.
P
La notion de progrès et de foi dans la raison, à la difference des autres religions n'est contenue que dans le christianisme. Or c'est la néagtion de celui-ci, corrélé à des moyens sans précédents qui font la spécificité des nazis.<br /> <br /> Je dirais que cette société qui devient folle est une conséquence normale de la chute de la chrétienté, et de l'idée de Dieu. Je ne sais plus qui disait en évoquant les droits de l'homme, ces idées chrétiennes devenues malades.
N
Serait-ce là l'origine d'un mépris préemptif ?
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