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nos moutons
24 juillet 2006

FLUX MIGRATOIRES

C’est un petit square dans un quartier aisé : tout autour sont des immeubles chics et propres gardés par des concierges sourcilleux. Les voitures en stationnement, les boutiques qui vendent des vêtements et des meubles d’un goût irréprochable, tout y exprime la satisfaction d’avoir « fait sa place » et atteint grâce au travail et une bonne apréhension des tendances du moment, une confortable aisance.

Dans le square, des enfants dont les vêtements sont choisis pour s’accorder parfaitement à la voiture, c’est à dire à leur parents, c’est à dire à leur classe sociale, jouent sous la surveillance émue de nounous qui viennent toutes de l’autre côté d’une mer ou d’un océan. Aucun d’entre eux n’est ici avec sa mère ou son père : ce détail me frappe.

En les regardant, j’esquisse mentalement ce curieux schéma :
il y a devant moi, jouant sous les acacias malingres, des enfants aimés de femmes qui ne sont pas leurs mères. À côté, assise sur un banc, se trouve la femme qui les aime et qui ne peut plus aimer ses propres enfants parce qu’elle a dû les abandonner pour aller dans un pays lointain travailler et gagner de quoi les nourrir. Plus loin, dans des bureaux climatisés, il y a leur mère qui ne peut prendre soin d'eux parce qu’il faut qu’elle travaille pour payer la femme qui les aime. Et enfin, beaucoup plus loin, il y a des enfants dont la mère est partie, par amour, aimer d’autres enfants.

Quelle trame mystérieuse tissent donc à la surface du monde les trajectoires de ces amours déviées de leur objet ?

Mais revenons à nos moutons.

LES_MOUTONS__fin_de_texte_

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Commentaires
S
Ce qui me choque le plus dans tout ça, c'est l'inconsidération de tout ce dont on spolie l'enfant nourri ou materné lorsqu'on traite les nounous de lait ou de garde comme de vulgaires objets jetables. Faut-il que les êtres humains soient si inconscients, c'est d'un désolant, toujours... Évidemment que la séparation fait partie de la vie, mais le mode sous lequel elle se vit fait toute la différence, non? On se fait charcuter le cœur et on poursuit la charcuterie. J'ai beau me dire que le monde recommence avec chaque naissance, je ne peux pas trouver moins triste pareilles répétitions.<br /> <br /> Voilà le sens des interdits à maintenir, à défaut de mieux. <br /> <br /> Il fait bon fréquenter ce lieu-ci. L'impression d'un repas en très bonne compagnie. Nourriture fortifiante pour l'être.
P
Il existe en français l'expression "frères de lait" qui désigne deux enfants allaités par la même nourrice.<br /> Allaités et non éduqués car le lait maternel était sensé transmettre d'autres choses que de simples composants nutritif et les miniatures médiévales représentant Bernard de Clairvaux buvant le lait des seins de la Vierge n'était peut-être pas qu'allégoriques.<br /> La fraternité de lait était donc probablement une fraternité d'ordre spirituel.<br /> <br /> Le mariage entre un homme et une femme ayant été parrain et marraine d'un même enfant était également interdit. Peut-être créait-il un lien analogue.<br /> <br /> Il faudrait savoir qui recourrait au services des nourrices mais aussi sur quels critères on les choisissait.<br /> <br /> Je tâcherai de faire quelques recherches.
N
C'est vrai que c'est un très joli post. <br /> <br /> L'intervention de Sandgirl m'évoque un point juridique de la Sharia (comme on n'est pas chez Corine, y'a p'têt une chance pour que les commentateurs ne fassent pas de contresens… violent) :<br /> la fraternité (ou sororité, c'est la même chose ;-) de lait est considérée comme équivalente à un lien du sang. Elle interdit, par exemple, le mariage entre un homme et une femme qui aurait eu la même nourrice, l'assimilant à un inceste pur et simple.<br /> <br /> Comme quoi, vaux mieux bien choisir la nounou de ses enfants.<br /> <br /> Un législateur a donc pris en compte la qualité d'amour qui peut (devrait ?) exister dans ce genre de relation, dont la perception, alors, semble avoir été bien loin de l'outsourcing contemporain à vocation productive.<br /> En tout cas, la nounou n'était pas "jetable" : si elle revenait en ville des années plus tard pour demander de l'aide, elle l'obtenait.<br /> (À supposer, bien sûr, que la famille considérée respecte un minimum le "code de l'honneur", tout n'est pas rôse, nulle part…)<br /> <br /> Cela étant, et pour ouvrir un peu le champs, les aristocraties et bourgeoisies médiévales européennes ont énormément recouru à la pratique de la nourrice, elles aussi (mais sans délocaliser ;-). Il pourrait être intéressant de voir quel était son statut dans le Droit pré-napoléonien.
S
Cela tombe bien, ce commentaire de Yogi, car il y a quelques jours, j'ai vu un documentaire sur les nounous et les aides familiales qui viennent travailler ici, et dont 80% proviennent des Philippines. J'avais pensé à votre texte, PAablo, sauf que je ne me rappelais plus où j'avais lu cette pertinente description que vous avez fait ici, cette triste ronde où un peu tout le monde danse en se marchant sur le cœur... Il y avait, entre autres, cette petite de 9 ans dont la nounou a commencé à s'occuper alors qu'encore bébé. La petite, lorsqu'ils en parlaient toutes deux, repoussait toujours le jour où sa nounou partirait : dans 3,4,5 ans, disait-elle. Car de ces nounous, on dispose, quand on n'a plus besoin, elles ne font pas partie de la famille, malgré un attachement plus grand envers elles, souvent, qu'envers les parents - qui eux, doivent se dire : c'est la vie. Connerie, oui. Ces nounous et ces aides viennent aussi ici pour gagner la vie de leurs enfants laissés là-bas...
Y
Très beau billet ...
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