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nos moutons
15 avril 2007

FEUX D'ARTIFICE SUR LA CORNICHE

J’aime beaucoup Casablanca. Cette ville ne ressemble à rien.

La medina n’a rien d’une medina. C’est un amas de rues et de vieilles bicoques crasseuses, pas émouvantes, pas typiques, pas arabes, rien. La nouvelle medina, en revanche, ressemble bel et bien à une medina. Sauf que ce n’est pas une medina mais un décor construit par les français, une fausse medina, du carton-pâte. Medinaland.

Autour de la vieille medina, on trouve des avenues avec de beaux immeubles modern’ style et art-déco que des architectes venaient construire ici parce qu’on ne les laissait pas faire de projets d’avant-garde en métropole. Ils sont un peu décrépis à présent (la conservation du patrimoine est un vice de nantis). Le cinéma “Rialto”, à la façade couleur vanille avec rehauts pistache et framboise,  projette des films de Bollywood doublés en arabe. On voit encore des plaques de rues portant les noms d’Émile Zola ou de Camille Desmoulins. Il a dû y avoir des projets d’urbanisme grandioses. À présent plus rien. Casablanca ressemble à une fusée des années 50 abandonnée aux habitants de la planète sur laquelle elle s’est écrasée.

Après il y a encore de grandes avenues où alternent des immeubles d’affaire ultra-modernes, verre et acier, d’autres plus petits qui reproduisent curieusement, encore, quelques vices art-déco comme le balcon à balustrade pleine arrondie à l’angle, comme on continue de célébrer des rituels dont on a perdu le sens.
Puis, encore plus loin, des quartiers résidentiels avec des villas d’un mauvais goût onéreux comme seuls les nouveaux riches de la Méditerranée savent en souhaiter. De Beyrouth à Marbella c’est la même bêtise ostentatoire, caméras de surveillance comprises.

Je n’ai pas vu les bidonvilles si ce n’est depuis les hublots de l’avion qui les survole à basse altitude avant d’atterrir. Ma curiosité de touriste a des limites, par ailleurs fort vite atteintes.

D’un bout à l’autre de la ville, tous les bâtiments sont couverts d’antennes paraboliques, comme des pustules sur un visage infecté.

Et puis la Corniche.
À cet endroit, la côte est rocheuse. Il n’y a pas de plage. Mais en contrebas du boulevard, au-dessus des rochers couvert de varech, s’alignent des établissements de bains plus ou moins privés, avec piscine et restaurant. Le “Tonga”, le “Tahiti Plage”, d’autres encore, alignent des chaises longues de plastique blanc autour d’une piscine. Le sol est de ciment couvert d’une peinture de couleur vive qui s’écaille. Le bar a un toit de palmes façon paillotte. C’est vieillot, c’est triste, ça s’efforce de maintenir des gaités d’un autre âge, un âge de colons depuis longtemps partis.

À Casablanca les teen-ageuses bourgeoises, plus pimbêches s’il était possible que leurs congénères de l’ouest parisien, parlent français entre elles : ça fait chic.

De l’autre côté du boulevard, passé le multiciné “Mégarama” (c’était au Mégarama, faubourg de Casablanca, sur le boulevard de la Corniche) alternent les terrains vagues, les bâtiments en ruine, et des “cabarets orientaux”, ou pas orientaux, ou faussement orientaux. On ne sait pas très bien, on est à Casablanca, ça n’a pas d’importance. Devant la plupart d’entre eux, au fond d'un parking de terre battue, une brute qui ressemble à un eunuque d'opérette contrôle les entrées et votre mise.
Derrière encore, des villas des années 50 aux lignes aérodynamiques, avec de grandes baies vitrées derrière lesquelles observer la mer à travers les palmiers et les massifs de Bougainvilliers, en buvant des whisky-soda entre fonctionnaires coloniaux et entrepreneurs, comme sur un dessin de Loustal.

En redescendant à pied la Corniche vers la grande mosquée, je m’étais aventuré, près de la plage, vers un de ces établissements de bains. Celui-ci était abandonné : les piscines vides, au fond desquelles s’accumulaient détritus et gravats, perdaient peu à peu les carreaux bleus de leurs revêtement. Les plongeoirs et toboggans de béton armé peint en carmin partaient en morceaux et laissaient voir leur structure de métal, comme un ulcère laisse voir les chairs ou même l’os. Les tiges métalliques rouillaient et des trainées brunes coulaient vers le sol. La zone des cabines de bains était envahie de cactus et d’agaves. Dans ce qui avait été une cafétéria, où trônait encore un comptoir ondulé en formica et zinc, trois hommes plus très jeunes pratiquaient la musculation, maniant des poids confectionnés avec des bombonnes de plastique remplies de sable. L’un d’entre eux vint parler avec moi, me demander si j’avais des enfants, me demander de l’argent pour les siens.

Ces derniers jours, des gosses se font sauter dans les rues de Casablanca. Boum ! boum ! Sans même faire de victimes. Ou presque pas. Boum ! boum ! Juste de petits pétards, comme des feux d’artifice sur la Corniche. Et des morceaux de viande sur des trottoirs défoncés.

Mais revenons à nos moutons.


CUL_DE_LAMPE

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Commentaires
P
Embêté, pour le coup, je le suis pour vous répondre.<br /> <br /> Pour vous dire la vérité vous m'avez obligé à aller chercher la définition de la prétérition dans le dictionnaire. Autant dire que si j'en ai fait, ça a été comme M. Jourdan faisait de la prose.<br /> <br /> Disons que l'actualité m'a ramené quelques souvenirs, et que j'ai voulu les évoquer. Ne me prêtez pas d'intentions cachées. Pas ici, en tout cas.<br /> <br /> It's a mad world, c'est vrai.
S
Suis embêtée, là... Pourrait-on dire que vous avez fait dans la prétérition, ou pas? J'essaie de bien identifier les figures, mais si elle n'est pas annoncée clairement, peut-on la cataloguer telle? Z'auriez pas fait le kamikaze en la faisant sauter sans nous en aviser, de sorte que je n'en décèle que quelques lambeaux? Non, je ne crois pas me tromper, z'êtes en pétard, hein? <br /> <br /> It's a mad mad world.<br /> <br /> (J'avais tenté de poster ce com hier, mais ça boguait. Je me réessaie, donc.)
J
Oui.<br /> <br /> Suicides artificiers dans les décors de Mon Oncle, de Jacques Tati (ville ancienne / ville moderne, charettes à mulet / automobiles puissantes et vrombrissantes… c'est tout pareil).<br /> <br /> Il faut imaginer le balayeur, quitter le bistrot pour aller se mettre une ceinture de C4 artisanal, et revenir faire péter le bistrot, parce que le garçon lui a manqué de respect.
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