ANTONIO PART EN VADROUILLE (un fait divers plutôt burlesque)
Antonio en vadrouille nocturne s’est fait arrêter par la police sur l’autoroute qui contourne la ville par le nord et que les lampadaires alignés sur son côté font macérer dans une brume orange.
La ville n’est pas très jolie au fond d’une rade si profonde qu’on n’y voit jamais l’océan se fondre avec l’horizon mais plutôt les extrémités tentaculaire du chenal d’accès qui s'étendent jusqu’au pied des reliefs couverts de forêts.
Elle fut longtemps port militaire. Il reste un arsenal dans les bassins duquel croupissent deux frégates et, dans la vieilles ruelles du centre aux façades décrépites, une boutique de delicatessen au plafond bas, à laquelle on accède en descendant trois marches, où l’on enveloppe vos achats dans des sacs en papier qui proclament fièrement que la maison est spécialisée en “fourniture de vivres pour traversées au long cours”.
Restent également des chantiers navals aux grues immenses sur lesquelles s’illuminent la nuit des feux de signalisation, formant de tristes phares d’acier. Leur activité ne fut pas toujours si parcimonieuse : en témoignent les logements ouvriers étagés sur les collines, qu’une municipalité bienveillante mais désargentée a peint de couleurs vives pour tenter d’en dissimuler la déchéance dûe à l’une des innombrables “reconversions industrielles” des vingt ou trente dernières années. Cubes d'un béton de mauvaise qualité, bariolés de peintures à bas prix que les brumes de l’atlantique pourrissent en quelques mois.
Dans les montagnes environnantes, il y a encore des troupeaux de chevaux à demi sauvages. Un jour j’en ai aperçu un, coincé sur une maigre pâture, au milieu de la boucle que traçait une rampe d’accès à l’autoroute. Il regardait la circulation, impavide. Je m’étais perdu en cherchant l’hypermarché. Je me perds toujours dans les échangeurs. Et aussi sur les parkings d'hypermarchés.
Antonio s’est fait arrêter pas très loin de là. Quand la patrouille a commencé à le suivre, il a accéléré : un réflexe qu’ont beaucoup de gitans quand ils entendent une sirène de police.
Mais il s’est aussitôt rendu compte que ce foutu fauteuil roulant électrique pour tétraplégique qu’il conduit à l’aide d’une manette tenue entre les dents ne pouvait guère dépasser le vingt à l’heure, même customisé avec des chaines, un rétroviseur et une sacoche de cuir façon western.
Il le savait bien que ce type de véhicule n’est pas autorisé à emprunter les autoroutes, mais il s’était trompé d’embranchement à la rotonde précédente et il aurait été encore plus dangeureux de faire demi-tour, n’est-ce pas? C’est ce qu’il a expliqué aux policiers. Et aussi qu’il voulait juste aller au clandé, un de ceux que l'on aperçoit au bord des routes, qui s'intitulent "club" (c'est ce qu'indique un néon clignotant bleu, à côté d'un autre dont les courbes fuchsia tracent les contours d'une pin-up stylisée).
Non ! qu’allez-vous penser ? Un tétraplégique... Juste pour prendre un verre, un whisky-coca, avec une paille qu’une fille trop maquillée avec de gros seins lui mettrait dans la bouche. C’est déjà pas mal. Peut-être même qu’il aurait pu se faire rouler un patin pour peu que la fille soit d’humeur et moyennant un petit supplément.
Ces crétins de pandores l’ont ramené au centre sanitaire où il vit depuis dix ans et où jamais une infirmière ne lui servira un whisky. Ils auraient mieux fait de l’emmener jusqu’au claque, il leur aurait sûrement payé un verre.
Mais revenons à nos moutons.